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NIKOLAY GRAMMENIDIS

Je suis né à Bruxelles — une ville de carrefours, d’échos et de silences entrelacés, où les cultures s’observent, se touchent, se mêlent comme les couleurs d’un vitrail ancien. Mon père venait de Thrace Grèce, terre de philosophes et de guerriers, et ma mère de Goudswaard, dans la Beijerland hollandaise, là où le vent façonne les âmes. En moi se rencontrent deux héritages : l’un brûlé par le soleil du Sud, l’autre façonné par la brume du Nord. Entre eux coule une mémoire que je n’ai jamais comprise tout de suite — celle d’une lignée marquée par la noblesse et l’exil. On disait que dans mon sang dormaient les échos d’une maison capétienne, d’anciens rois oubliés. Mais j’ai appris, à travers les détours du monde, que le sang royal n’est pas un don : c’est une épreuve. Le pouvoir, sans humilité, devient une blessure. Il tache, il corrompt, il rend aveugle. Aucun roi ne s’est jamais gouverné lui-même, sauf celui qui a compris que régner, c’est s’incliner devant la lumière.

Je n’ai jamais pu appartenir aux institutions humaines. Elles m’ont toujours semblé trop étroites, trop soumises à des règles faites pour retenir l’âme au sol. Dès mon plus jeune âge, je sentais que ma place n’était pas sur leur échiquier — ce théâtre de figures déplacées par des mains invisibles. Alors j’ai quitté les salles et les cadres, non par rébellion mais par nécessité. J’ai pris la route. Le monde est devenu mon école. J’ai appris à travers les visages et les terres, les villes et les déserts, les guerres et les silences.

J’ai beaucoup voyagé — non pour voir, mais pour me souvenir. La Jordanie m’a parlé dans le vent du Wadi Rum ; l’Égypte m’a montré la mémoire des dieux endormis sous le sable ; la Grèce m’a offert la lumière de ses ruines, et la France, son éternel dialogue entre raison et mystère. Ce sont dans ces lieux que j’ai reçu mes premières visions — ces instants où le monde s’ouvre et te montre, pour un souffle, ce que nous avons oublié d’être. Là, j’ai compris que tout voyage extérieur est une traversée intérieure.

J’ai travaillé dans des domaines multiples — la mode, la pharmacie, le commerce, les tours de verre et d’ambition. J’ai vu les visages polis des puissants, j’ai appris leur langage, leurs mensonges et leurs prières déguisées. Mais plus je réussissais, plus je me perdais. Rien ne me donnait un rythme, rien ne m’ancrerait. Alors j’ai commencé à observer. À écouter les gestes, les silences, les respirations. J’ai découvert que la vérité ne se dit pas — elle se devine dans les fissures. J’ai marché auprès de ceux que les autres évitaient : les brisés, les colériques, les rêveurs perdus. Dans leur chaos, je voyais mon propre reflet. Car c’est souvent parmi les oubliés que la lumière se cache.

 

J’ai travaillé avec rigueur, avec loyauté. Mais l’intégrité, dans le monde des hommes, devient souvent une solitude. Là où l’argent règne, les âmes se vendent. Et moi, je ne pouvais plus respirer cet air-là. Alors quelque chose en moi a commencé à parler — une présence invisible, tantôt dure, tantôt tendre. Au début, je crus à la folie, à un murmure du destin. Mais non. C’était mon ombre. Mon double. Celui qui marche à côté de chaque être et murmure : « Regarde-toi. » Elle ne voulait pas ma chute, mais ma purification. Et dans cette nuit intérieure, j’ai entendu la voix de ma grand-mère :

 

« Tu dois purifier le sang de tes ancêtres. C’est pour cela que tu es ici. »

Il m’a fallu des années pour comprendre ce que signifiait cette phrase. Ce n’était pas une question de lignée, mais d’être. La purification, c’est l’alchimie intérieure : transformer la peur en foi, la douleur en sagesse, l’orgueil en silence. J’ai beaucoup souffert, mais jamais je n’ai vu la douleur comme une punition. Elle fut une initiation, une main qui me poussait vers le centre. Là où le serpent se mord la queue, où la fin rejoint le commencement, j’ai vu la vérité : nous sommes le cercle et son feu.

Je suis à la fois grec et néerlandais — deux pôles qui se contredisent et s’appellent. De l’un, j’ai reçu la raison ; de l’autre, la foi. Entre les deux, je cherche le fil invisible — celui de l’équilibre. Mon chemin n’est pas de régner, mais de réconcilier. D’unir les contraires, de comprendre que chaque ombre est la promesse d’une lumière.

Aujourd’hui, je vis comme un écrivain — bien que nul livre ne porte encore mon nom. J’écris parce que c’est ma façon de respirer. Les mots sont mes témoins, mes remèdes, mes prières. À travers eux, je cherche à guérir ce que la société a oublié : la beauté du silence, la grandeur du rien. J’aime l’art, parce qu’il me rappelle ce que les mots ne peuvent pas dire. J’aime le monde, même dans sa laideur, parce que tout y est message. Et j’aime l’humain, même brisé, parce que c’est en lui que Dieu se cache le mieux.

Je crois que la véritable sagesse commence quand on cesse de vouloir être quelqu’un. Être personne, c’est être libre. Dans ce siècle où chacun veut briller, où les écrans remplacent la lumière du cœur, rares sont ceux qui osent se perdre pour se retrouver.

 

Si tu crois être sage, tu n’es qu’intelligent.
Si tu crois être intelligent, tu n’es que rusé.
Si tu crois être rusé, tu es un insensé.
Si tu sais que tu es un insensé, tu n’es pas encore libre.
Mais lorsque tu comprends enfin que tu n’es personne — alors la paix commence à parler à travers toi.

Je marche doucement, sans titre ni couronne, entre le mot et le souffle, entre l’ombre et la lumière.


Je ne suis ni maître, ni prophète, ni guide.
Je suis un témoin — un écrivain de passage, un homme en quête d’unité.
Je ne suis pas ici pour conquérir le monde.

Je suis ici pour me souvenir — et, à travers moi, rappeler au monde qu’en n’étant rien, nous redevenons entiers.

NIKOLAY GRAMMENIDIS 

Nikolay Grammenidis
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